Crédit Photo © Xavier Montoy
«C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué» Antoine de SAINT-EXUPÉRY «Là où il n’y a pas d’espoir, nous devons l’inventer» Albert CAMUS
Le désamour, c’est le pire…
« Le pire ce n’est pas ce qu’il m’a fait, le pire c’est comment les autres me regardaient après », me confie Cécile lors de notre première conversation. Dans ce cas, comme dans la plupart des situations que je rencontre, le récit traumatique ne peut pas se réduire à la description des événements bouleversants, complètement subis par le patient dans une impuissance radicale (1). C’est une évidence clinique, la personne effractée par ce qu’il lui arrive reste figée et fixée à la violence ou l’inattendu dans une émotion dont elle ne peut rien faire. L’éprouvé ainsi mis en attente construit et entretient une position victimaire responsable de la passivité. Dissociée, elle est incapable de répondre adéquatement à l’événement et remanie bien malgré elle ses habitudes relationnelles. Le rapport à soi, aux autres et au monde se redessine aux couleurs du trauma. Mais cela suffit-il à expliquer la souffrance que me confie Cécile ? Elle me raconte une « mauvaise » histoire où la vie dit-elle n’a pas de sens.
A seulement 29 ans, elle a perdu sa dignité et ce depuis le collège. L’opinion qu’elle a d’elle-même est étroitement liée à celle que les autres ont d’elle... Quels autres ? Son agresseur ? Ceux qui l’ont ensuite jugée, humiliée, méprisée sur la « place publique » ? Ou ceux qui sont restés aveugles et sourds devant ce non-respect de son intimité... C’est ainsi que l’histoire traumatique de Cécile s’est nourrie, dans la perte de protection de son identité la privant du sentiment d’exister (2). Un sentiment fragile, qui se construit essentiel - lement en relation et dépend donc des autres qui le lui accordent ou pas. « Avec tout ça, je ne peux plus aimer, et sans aimer, je ne suis plus aimée »... un piège redoutable qui enferme cette jeune femme dans une recherche mortifère d’une vision plus digne d’elle-même...
Cécile craint la relation devenue dangereuse. Elle se protège, évitant ce qui peut ébranler et abîmer davantage sa dignité. La fuite dans l’illusion qu’elle peut se suffire à elle-même va dans les premiers temps feindre la résilience mais sans lien à l’autre, elle doit encore et encore « consommer » cette auto-reconnaissance, à la recherche de preuves de la valeur qu’elle pense ne pas avoir. Toutefois, elle entretient l’espoir que ça change mais dans un refus de la réalité. Elle se focalise alors sur la cause de ses malheurs, fascinée par les relations maltraitantes. Incapable pour l’instant de percevoir celles qui lui apportent protection et respect, elle s’enlise dans des histoires qui viennent confirmer la malédiction : « je ne suis pas digne d’amour ».
Malgré la relation perdue
Cécile reste pourtant en lien avec son besoin d’être en relation et l’envie de se libérer de la honte qui coule dans ses veines, me dit-elle. Elle vient en consultation ! Si dans le monde du trauma la relation n’est pas simple, elle ne le sera donc pas dans la thérapie. Une part d’elle, saine, peut croire à la coopération entre elle et moi, elle prend rendez-vous, elle s’assied là, à côté de moi, et fait le pari qu’elle peut me confier l’inacceptable. Son inconscient sait que c’est le chemin vers la considération. Pourtant la relation n’est pas en place, elle se vit sans valeur et me perçoit comme un humain susceptible de mettre une fois de plus son estime d’elle-même en péril. Elle se présente à moi dans la peur du rejet et la peur de la honte (3). Elle me demande comment on sait si on est une « bonne patiente ». Elle exprime sa crainte, voire sa certitude que mon regard sur elle ne change une fois qu’elle m’aura « tout » dit... et me demande si c’est possible que je ne veuille pas poursuivre avec elle ?
Une étrange question
Que faire ? Prendre une posture professionnelle d’expert ? La rassurer, lui servir un discours qui ne pourra que raviver le doute quant à mes intentions et mon authenticité ? Me concentrer sur les cibles traumatiques en technicienne des mouvements alternatifs ? Incapables d’accueillir les croyances et habitudes relationnelles du patient, nous commettons toujours l’erreur pressée de nous réfugier derrière nos théories, nos outils ou des objectifs de soin idéalisant l’autonomie... En vain... Et nous le savons, car un changement pérenne de perception n’émerge qu’au coeur d’une relation sécure. C’est pourquoi nous ne parlons pas, lors de cette première consultation, des terribles événements qui l’ont menée à la dépression et à la thérapie.
Il me faut donc co-construire avec Cécile la confiance dans les intentions de l’autre et prendre le temps de rêver à notre relation. Elle est très surprise lorsque je lui pose cette question étrange : « A quoi allezvous voir que vous acceptez d’être ma patiente ? » L’espoir ainsi mobilisé se focalise sur l’essentiel et projette cette jeune femme dans un objectif relationnel. J’utilise les mouvements alternatifs pour l’accompagner dans ses découvertes. Ses peurs sont externalisées sur ma main et ses espoirs en elle, en moi, en nous, le sont dans sa main, permettant en fin de séance un ancrage corporel. Lorsque son corps peut vivre la tranquillité de cette expérience, je lui demande ce qui est différent au terme de notre conversation. Elle me dit : « j’accepte d’être votre patiente, je sens que c’est doux ». Je lui propose avant de clôturer notre rencontre de faire venir les personnes qui s’associent à cette douceur... elle me répond : « il n’y a que vous ». Je reformule en souriant : « il y a déjà moi... ».
Cécile doit donc reconstruire une sécurité de base, pulvérisée par l’agression et l’humiliation. Le souvenir d’avoir été aimée est inaccessible, totalement amnésié par la puissance de l’histoire traumatique dominante. Or, l’expérience d’amour est un véritable système immunitaire psychique, un « capital inestimable » (4), pour faire le deuil de ce qu’on nous a pris, de ce qu’on aurait pu être et que l’on ne sera jamais, le deuil de soi en fin de compte (5). Sortir du doute identitaire va demander à Cécile de traverser la tristesse d’avoir été elle-même. Comment pourrait-elle le faire, au risque de n’être plus rien, sans la certitude d’être aimée malgré tout ?
Traverser le doute
« Est-ce que ce que vous avez dit quand on s’est vues est vrai... quand vous avez dit... il y a déjà moi ?... » Je m’entends penser très fort : « évidemment ! »... « Vera, ne lui donne pas une réponse à laquelle elle ne peut pas encore croire... » Plusieurs séances sont alors nécessaires pour accueillir et traverser ce doute légitime. Nous aurons, Cécile et moi, des conversations métaphoriques et externalisantes sur le doute : quelle forme prend-il ?
A quoi ressemble-t-il aujourd’hui ? Quelles sont ses stratégies ? Pourquoi fait-il tout cela ? Comment se nourrit-il ? Qui sont ses complices ? Quelles idées met-il dans sa tête ? Que lui fait-il faire ? A quels moments est-il présent ? Quand est-il moins puissant ?...
Pour lire la suite de cet article de la revue...
Le désamour, c’est le pire…
« Le pire ce n’est pas ce qu’il m’a fait, le pire c’est comment les autres me regardaient après », me confie Cécile lors de notre première conversation. Dans ce cas, comme dans la plupart des situations que je rencontre, le récit traumatique ne peut pas se réduire à la description des événements bouleversants, complètement subis par le patient dans une impuissance radicale (1). C’est une évidence clinique, la personne effractée par ce qu’il lui arrive reste figée et fixée à la violence ou l’inattendu dans une émotion dont elle ne peut rien faire. L’éprouvé ainsi mis en attente construit et entretient une position victimaire responsable de la passivité. Dissociée, elle est incapable de répondre adéquatement à l’événement et remanie bien malgré elle ses habitudes relationnelles. Le rapport à soi, aux autres et au monde se redessine aux couleurs du trauma. Mais cela suffit-il à expliquer la souffrance que me confie Cécile ? Elle me raconte une « mauvaise » histoire où la vie dit-elle n’a pas de sens.
A seulement 29 ans, elle a perdu sa dignité et ce depuis le collège. L’opinion qu’elle a d’elle-même est étroitement liée à celle que les autres ont d’elle... Quels autres ? Son agresseur ? Ceux qui l’ont ensuite jugée, humiliée, méprisée sur la « place publique » ? Ou ceux qui sont restés aveugles et sourds devant ce non-respect de son intimité... C’est ainsi que l’histoire traumatique de Cécile s’est nourrie, dans la perte de protection de son identité la privant du sentiment d’exister (2). Un sentiment fragile, qui se construit essentiel - lement en relation et dépend donc des autres qui le lui accordent ou pas. « Avec tout ça, je ne peux plus aimer, et sans aimer, je ne suis plus aimée »... un piège redoutable qui enferme cette jeune femme dans une recherche mortifère d’une vision plus digne d’elle-même...
Cécile craint la relation devenue dangereuse. Elle se protège, évitant ce qui peut ébranler et abîmer davantage sa dignité. La fuite dans l’illusion qu’elle peut se suffire à elle-même va dans les premiers temps feindre la résilience mais sans lien à l’autre, elle doit encore et encore « consommer » cette auto-reconnaissance, à la recherche de preuves de la valeur qu’elle pense ne pas avoir. Toutefois, elle entretient l’espoir que ça change mais dans un refus de la réalité. Elle se focalise alors sur la cause de ses malheurs, fascinée par les relations maltraitantes. Incapable pour l’instant de percevoir celles qui lui apportent protection et respect, elle s’enlise dans des histoires qui viennent confirmer la malédiction : « je ne suis pas digne d’amour ».
Malgré la relation perdue
Cécile reste pourtant en lien avec son besoin d’être en relation et l’envie de se libérer de la honte qui coule dans ses veines, me dit-elle. Elle vient en consultation ! Si dans le monde du trauma la relation n’est pas simple, elle ne le sera donc pas dans la thérapie. Une part d’elle, saine, peut croire à la coopération entre elle et moi, elle prend rendez-vous, elle s’assied là, à côté de moi, et fait le pari qu’elle peut me confier l’inacceptable. Son inconscient sait que c’est le chemin vers la considération. Pourtant la relation n’est pas en place, elle se vit sans valeur et me perçoit comme un humain susceptible de mettre une fois de plus son estime d’elle-même en péril. Elle se présente à moi dans la peur du rejet et la peur de la honte (3). Elle me demande comment on sait si on est une « bonne patiente ». Elle exprime sa crainte, voire sa certitude que mon regard sur elle ne change une fois qu’elle m’aura « tout » dit... et me demande si c’est possible que je ne veuille pas poursuivre avec elle ?
Une étrange question
Que faire ? Prendre une posture professionnelle d’expert ? La rassurer, lui servir un discours qui ne pourra que raviver le doute quant à mes intentions et mon authenticité ? Me concentrer sur les cibles traumatiques en technicienne des mouvements alternatifs ? Incapables d’accueillir les croyances et habitudes relationnelles du patient, nous commettons toujours l’erreur pressée de nous réfugier derrière nos théories, nos outils ou des objectifs de soin idéalisant l’autonomie... En vain... Et nous le savons, car un changement pérenne de perception n’émerge qu’au coeur d’une relation sécure. C’est pourquoi nous ne parlons pas, lors de cette première consultation, des terribles événements qui l’ont menée à la dépression et à la thérapie.
Il me faut donc co-construire avec Cécile la confiance dans les intentions de l’autre et prendre le temps de rêver à notre relation. Elle est très surprise lorsque je lui pose cette question étrange : « A quoi allezvous voir que vous acceptez d’être ma patiente ? » L’espoir ainsi mobilisé se focalise sur l’essentiel et projette cette jeune femme dans un objectif relationnel. J’utilise les mouvements alternatifs pour l’accompagner dans ses découvertes. Ses peurs sont externalisées sur ma main et ses espoirs en elle, en moi, en nous, le sont dans sa main, permettant en fin de séance un ancrage corporel. Lorsque son corps peut vivre la tranquillité de cette expérience, je lui demande ce qui est différent au terme de notre conversation. Elle me dit : « j’accepte d’être votre patiente, je sens que c’est doux ». Je lui propose avant de clôturer notre rencontre de faire venir les personnes qui s’associent à cette douceur... elle me répond : « il n’y a que vous ». Je reformule en souriant : « il y a déjà moi... ».
Cécile doit donc reconstruire une sécurité de base, pulvérisée par l’agression et l’humiliation. Le souvenir d’avoir été aimée est inaccessible, totalement amnésié par la puissance de l’histoire traumatique dominante. Or, l’expérience d’amour est un véritable système immunitaire psychique, un « capital inestimable » (4), pour faire le deuil de ce qu’on nous a pris, de ce qu’on aurait pu être et que l’on ne sera jamais, le deuil de soi en fin de compte (5). Sortir du doute identitaire va demander à Cécile de traverser la tristesse d’avoir été elle-même. Comment pourrait-elle le faire, au risque de n’être plus rien, sans la certitude d’être aimée malgré tout ?
Traverser le doute
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VERA LIKAJ
Psychologue clinicienne, psychothérapeute, praticienne en thérapies brèves, hypnose et mouvements alternatifs. Formatrice à l’Espace du Possible, à Tournai (Belgique). Intervenante au DU d’hypnose médicale de Lille. Coauteure de Thérapies brèves plurielles : principes et outils pratiques (Elsevier Masson) et Interventions et thérapies brèves : 12 stratégies concrètes (Elsevier Masson).
Commander le Hors-Série de Revue Hypnose & Thérapies Brèves sur le Psychotraumatisme
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- Dr Pascal VESPROUMIS: Médecin Addictologue, Président de l'ACCH. Anime les supervisions.
- Dr Roxane COLETTE: Médecin Psychiatre, auteur du livre: Petits maux, grands traumas: de l’EMDR à l’IMO, une nouvelle voie de guérison.
- Sophie TOURNOUËR: Psychologue, Psychothérapeute, Thérapeute Familiale et de Couple. Anime les supervisions.
- Claire DAHAN: Psychologue, Psychothérapeute. Conférencière internationale.
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