Ce qui me gêne ? Je souffre de crises de panique, docteur. C’est horrible. Cela me prend d’un coup, quand je les attends le moins du monde.
- Parce que vous les attendez ?
- J’y suis tellement habitué que je sais d’avance qu’elles vont venir.
- Vous êtes donc prévenu !
- Tout en ne sachant pas quand elles viennent.
- Vous les attendez donc quand elles ne viennent pas, vu que quand elles viennent cela vous est inconnu. Et connaissant l’inconnu par le fait de savoir qu’elles viennent, vous craignez l’inconnu qui vous est connu ce qui, évidemment, vous évite d’être surpris tout en étant étonné que ce qui vous arrive est exactement ce que vous saviez qu’il arriverait.
- C’est tout à fait ainsi, l’inconnu me fait peur d’autant plus que je le connais, et quand quelque chose d’horrible comme une crise de panique vous est connue, cet inconnu connu vous fait encore plus peur.
- Est-ce que tout cela a des conséquences dans votre vie ?
- Oh ! je commence à avoir de la peine à sortir de chez moi par crainte que cela me prenne. Et je ne vous dis pas ma souffrance de devoir renoncer aux voyages. Vous devez savoir, docteur, que voyager a toujours été ma passion : les voyages en avion dans des pays lointains, des randonnées d’un refuge à un autre, visiter des villes, aller voir une exposition... Maintenant, tout cela est terminé. Mon dernier projet était un voyage en bateau sur le Danube, le Rhin ou le Rhône. Se laisser glisser sur l’eau à la vitesse de la lenteur d’une montre sans aiguilles.
- Ouah ! je vois que vous êtes poète.
- Peut-être, mais docteur, je souffre ! Me voici bloqué dans le cabinet d’un thé- rapeute, adieu voyages, adieu balades.
- J’ai perdu la clef de mon cabinet de- puis longtemps.
- Pardon ?
- C’est ainsi que le cabinet n’est jamais bloqué, il est comme un port d’attache. Tous les navires peuvent s’y amarrer et d’autant plus facilement partir vers des destinations inconnues car ils savent qu’ils peuvent re- venir à tout moment. C’est un grand jeu avec les inconnus. Ces inconnus qu’on attend, un peu comme vous... Vous les attendez et vous en êtes surpris quand l’inconnu de- vient connu reprenant l’identité déjà connue et capable, en même temps, de se présenter comme une inconnue.
Vous connaissez bien cet entre-deux qui vous donne l’impression de connaître l’inconnu qui va bientôt devenir ce fameux connu qui vous étonne par sa similarité avec le passé tout en se situant dans un futur dont la distance joue avec l’inconnu afin que le connu soit le moins possible prévisible et certain de s’avérer comme si le connu ne pouvait se révéler comme tel que s’il est inconnu juste le temps qui le précède, soulevant ainsi ce doute qui remplit l’attente d’inconnu et nous fait sentir que quelque chose va arriver, presque comme le train que vous attendez alors que l’horaire ne le prévoit pas et vous l’attendez assidûment sur le quai où il n’arrivera pas car, oh sur- prise ! un autre train, pareil au train prévu et connu, se présente sous l’apparence d’un train nouveau et inconnu. Tout cela vous met dans un état d’excitation et d’hésitation quant à la suite de votre séjour à la salle d’attente. Dois-je la quitter ? Dois- je y rester ? Qu’en est-il du train devant moi que je vois, qui m’est maintenant connu sous son aspect inconnu ?
Le doute s’amplifie comme les vagues qui se superposent au bord de la plage entre celles, connues, qui quittent la plage pour l’inconnu et celles, inconnues, qui se po- sent sur le sable connu. Des vagues hautes, au loin, devenant plus calmes à la vue de la terre ferme qui, elle, a le vertige et se sent tanguer dans la tentative de garder immobile la surface de l’eau. Un peu comme quand vous descendez du bateau après quelques jours de navigation. C’est alors la terre sous vos pieds qui tangue.
- Ah ! je connais bien ce tangage lors de mes crises...
- Vous connaissez bien ce tangage lors de la brise sur le pont du bateau qui se laisse bercer par les vagues... et vous sentez déjà ce mouvement bien connu... devant vous le paysage verdoyant de la côte sud du Danube avec une végétation dense entrecoupée de blocs de pierre granitique qui se donne la peine de se colorer de différentes nuances de gris, de bruns, de roses comme pour mieux accompagner les variations des tons verts du feuillage des toiles que la nature a tissées le long du fleuve. Rive gauche ou rive droite du fleuve, qu’importe, vous avancez avec cette vitesse qui fait de la lenteur sa priorité. Glissant dans la même di- rection que l’eau, votre bateau ne laisse aucune trace. Est-il amarré ou de nouveau en mouvement ? Seulement le regard, un instant fixe sur une borne ou une maison, vous donne la réponse, et encore, réalité ou illusion du mouvement ?
- Parce que vous les attendez ?
- J’y suis tellement habitué que je sais d’avance qu’elles vont venir.
- Vous êtes donc prévenu !
- Tout en ne sachant pas quand elles viennent.
- Vous les attendez donc quand elles ne viennent pas, vu que quand elles viennent cela vous est inconnu. Et connaissant l’inconnu par le fait de savoir qu’elles viennent, vous craignez l’inconnu qui vous est connu ce qui, évidemment, vous évite d’être surpris tout en étant étonné que ce qui vous arrive est exactement ce que vous saviez qu’il arriverait.
- C’est tout à fait ainsi, l’inconnu me fait peur d’autant plus que je le connais, et quand quelque chose d’horrible comme une crise de panique vous est connue, cet inconnu connu vous fait encore plus peur.
- Est-ce que tout cela a des conséquences dans votre vie ?
- Oh ! je commence à avoir de la peine à sortir de chez moi par crainte que cela me prenne. Et je ne vous dis pas ma souffrance de devoir renoncer aux voyages. Vous devez savoir, docteur, que voyager a toujours été ma passion : les voyages en avion dans des pays lointains, des randonnées d’un refuge à un autre, visiter des villes, aller voir une exposition... Maintenant, tout cela est terminé. Mon dernier projet était un voyage en bateau sur le Danube, le Rhin ou le Rhône. Se laisser glisser sur l’eau à la vitesse de la lenteur d’une montre sans aiguilles.
- Ouah ! je vois que vous êtes poète.
- Peut-être, mais docteur, je souffre ! Me voici bloqué dans le cabinet d’un thé- rapeute, adieu voyages, adieu balades.
- J’ai perdu la clef de mon cabinet de- puis longtemps.
- Pardon ?
- C’est ainsi que le cabinet n’est jamais bloqué, il est comme un port d’attache. Tous les navires peuvent s’y amarrer et d’autant plus facilement partir vers des destinations inconnues car ils savent qu’ils peuvent re- venir à tout moment. C’est un grand jeu avec les inconnus. Ces inconnus qu’on attend, un peu comme vous... Vous les attendez et vous en êtes surpris quand l’inconnu de- vient connu reprenant l’identité déjà connue et capable, en même temps, de se présenter comme une inconnue.
Vous connaissez bien cet entre-deux qui vous donne l’impression de connaître l’inconnu qui va bientôt devenir ce fameux connu qui vous étonne par sa similarité avec le passé tout en se situant dans un futur dont la distance joue avec l’inconnu afin que le connu soit le moins possible prévisible et certain de s’avérer comme si le connu ne pouvait se révéler comme tel que s’il est inconnu juste le temps qui le précède, soulevant ainsi ce doute qui remplit l’attente d’inconnu et nous fait sentir que quelque chose va arriver, presque comme le train que vous attendez alors que l’horaire ne le prévoit pas et vous l’attendez assidûment sur le quai où il n’arrivera pas car, oh sur- prise ! un autre train, pareil au train prévu et connu, se présente sous l’apparence d’un train nouveau et inconnu. Tout cela vous met dans un état d’excitation et d’hésitation quant à la suite de votre séjour à la salle d’attente. Dois-je la quitter ? Dois- je y rester ? Qu’en est-il du train devant moi que je vois, qui m’est maintenant connu sous son aspect inconnu ?
Le doute s’amplifie comme les vagues qui se superposent au bord de la plage entre celles, connues, qui quittent la plage pour l’inconnu et celles, inconnues, qui se po- sent sur le sable connu. Des vagues hautes, au loin, devenant plus calmes à la vue de la terre ferme qui, elle, a le vertige et se sent tanguer dans la tentative de garder immobile la surface de l’eau. Un peu comme quand vous descendez du bateau après quelques jours de navigation. C’est alors la terre sous vos pieds qui tangue.
- Ah ! je connais bien ce tangage lors de mes crises...
- Vous connaissez bien ce tangage lors de la brise sur le pont du bateau qui se laisse bercer par les vagues... et vous sentez déjà ce mouvement bien connu... devant vous le paysage verdoyant de la côte sud du Danube avec une végétation dense entrecoupée de blocs de pierre granitique qui se donne la peine de se colorer de différentes nuances de gris, de bruns, de roses comme pour mieux accompagner les variations des tons verts du feuillage des toiles que la nature a tissées le long du fleuve. Rive gauche ou rive droite du fleuve, qu’importe, vous avancez avec cette vitesse qui fait de la lenteur sa priorité. Glissant dans la même di- rection que l’eau, votre bateau ne laisse aucune trace. Est-il amarré ou de nouveau en mouvement ? Seulement le regard, un instant fixe sur une borne ou une maison, vous donne la réponse, et encore, réalité ou illusion du mouvement ?