Le deuil. Revue Hypnose & Thérapies brèves n°67




Je l’avoue d’emblée, créer un « Quiproquo » avec comme titre « le deuil » est une étrange naissance.

Et voilà : l’alpha et l’oméga sont déjà présents. Il ne manque plus que les bêta, gamma, delta et autres grecqueries. Comment ? Ce mot n’existe pas ? Il n’existe pas dans vos vieux dictionnaires y compris les nouveaux digitalisés ? S’il est écrit, si vous le lisez, c’est bien qu’il existe, qu’il est. Vous n’allez quand-même pas lire ce qui n’existe pas, sauf si vous lisez entre les lignes.

Depuis que je connais cette expression, je rêve d’écrire un roman ou peut-être une nouvelle composés uniquement de lignes au titre de « Bonne lecture ». Je n’ai pas encore trouvé l’éditeur. Allez savoir pourquoi. Bref, nous venons de jeter les bases philosophiques de notre « Quiproquo ». Gonflé, me direz-vous. A mon âge, quelques aspérités de la vie m’ont déjà dégonflé, suis presque ratatiné. Revenons à notre « Quiproquo » qui commence avec la vie et la mort, la naissance et le deuil. Ah ! pas tout à fait. Il ne faut pas confondre naissance et vie, et encore moins mort et deuil.

Naître signifie venir au monde, trouve-t-on dans les dictionnaires. Et une fois qu’on est venu, on est là. Vivre, par contre, a le parfum du chemin, de l’espace, du temps qui se déroule. Quand un enfant est né, il est né. Il ne va pas continuer à naître. Et avant de naître, il ne naît pas non plus. Etrange, non ? Soit il est né, soit il n’est pas né, un point c’est tout. « Né » est donc un état, la photo d’un moment, celui qui annonce le commencement de la vie autonome, enfin... du chemin vers une vie autonome. Ce chemin sur lequel il est bon de sentir la main de l’adulte transmettre autant la sécurité de l’instant que l’encouragement à apprendre à marcher seul.

Ce moment privilégié entre la main de l’enfant et la main de l’adulte qui représente la quintessence de l’attachement : étrange mélange de présence et d’absence, de dépendance et d’autonomie. Vous êtes-vous déjà demandé qui tient la main de qui ? La main de l’adulte celle de l’enfant, ou celle de l’enfant la main de l’adulte ? « Né » donc comme une photo d’un état. La suite est un peu moins photo, bien davantage un film à scénarios multiples. Ne venez pas m’enquiquiner avec le mot « scénario », avec ou sans accent, et son pluriel scénarios ou scénarii, oui, oui, ça existe comme tout ridicule qui se respecte, ou scenari comme en italien. On verra cela une autre fois. Pour la suite du « né » il suffit de demander à la maman qui allaite l’enfant, sans oublier le papa qui, déjà le jour de la naissance, est le plus épuisé de la famille. « Ah ! ce fut long, ce fut pénible, quelle fatigue, des heures à attendre, puis être présent à l’accouchement, suis presqu’évanoui, mais bon... » Alors je commence à me dire qu’on ne naît pas. On se développe dans le ventre, l’antre, l’utérus, je vous laisse le choix, de la mère et, à un moment donné, on est né. Venir au monde n’est pas une si bonne définition. Venir implique mouvement et donc espace et temps. Je préfère garder le mouvement pour la vie. Vivre est être en mouvement, être dans cet immuable de la vie qu’est le changement.

Même quand nos yeux caressent les fleurs de la prairie, nos oreilles sont bercées par le chant d’un oiseau, notre peau ressent la chaleur du soleil, notre nez le parfum de la forêt et notre palais le goût des champignons, nous sommes toujours dans cet étrange mouvement appelé instant présent qui nous fait glisser inlassablement du passé au futur. Nous sommes comme un train qui n’a pas de gare d’arrêt sur son tracé, sauf à la fin du parcours quand on entend « Terminus, tout le monde descend ! » ou, « zum-Tode-sein » pour reprendre Heidegger. Mais cela aussi sera pour une autre fois. Je résume : « né », un état ; « vivre », un mouvement. Pas convaincus ? Prenez une bougie et une allumette. Vous allumez la bougie. La bougie ne s’allume pas, vous l’allumez. Une fois la flamme présente à son bout, elle est allumée. Comme l’enfant qui est né, la bougie est allumée. Elle ne va pas continuer à s’allumer. Et avant d’être allumée, elle ne s’allume pas non plus. Etrange, non ? Et la mort alors ? Le deuil ? Pareil ! Mourir est un verbe surprenant, autant que naître. Posez-vous la question en quoi consiste l’action de mourir. Je devrais écrire : en quoi consisterait l’action de mourir car je doute fortement qu’il s’agisse d’une action. Bien sûr, on dit d’une personne en fin de vie qu’elle est en train de mourir, qu’elle est mourante. Mais que fait-elle vraiment ? Jusqu’à la preuve du contraire, elle vit, elle est toujours et encore sur ce chemin, dans ce mouvement, dans ce temps qui coule telle l’eau d’une rivière.

Puis, à un moment donné, quelqu’un dira : « Elle est morte ». « Mort » : un état, et « quoi », un mouvement ? Mourir ? Peut-être, si l’on prend un synonyme comme trépasser. Encore faudrait-il savoir à quels temps et espace l’on se réfère pour pouvoir trépasser. Trépasser de quoi à quoi ? Mais de la vie à la mort – me direz-vous. Ah, bon ! Et comment passe-t-on d’un mouvement à un état ? Quand le mouvement s’arrête – suggérez-vous. J’en doute. Prenez la loupe du langage : avez-vous déjà vu un mouvement qui s’arrête ? Si c’est possible, vous aurez un mouvement à l’arrêt. Mais si le mouvement est à l’arrêt, comment fait-il pour être encore un mouvement ? C’est l’illusion du temps présent vécu comme un moment, un arrêt du temps qui lui, je vous l’assure, passe sans arrêt. Le temps ne trépasse pas, souvent il « passe très... beaucoup ». Revenons à notre questionnement : avec « mort » comme état, quoi comme mouvement ? Le deuil ! Le deuil, comme la vie, a le parfum du chemin, de l’espace, du temps qui se déroule. La grande différence avec la vie, est que le deuil est le chemin de l’autre, des autres, de ceux qui sont encore en vie. Ainsi, si à l’état « né » correspond l’état « mort », au mouvement « vie » correspond le mouvement « deuil » avec la nuance du changement du sujet. En quoi consiste ce chemin, ce mouvement ? Nous en avons le choix et même un non-choix. Ce dernier se caractérise par un arrêt des perceptions. Le temps est vécu comme figé, l’espace comme rétréci. La personne ne « vit » plus que dans le passé, le présent n’est plus perçu, le futur inimaginable. L’autre étant « mort », la personne fait de cet état le sien. Le choix nous l’avons par la liberté de faire nôtres les sensations et les valeurs que la personne qui n’est plus nous inspire. C’est ici qu’ému je retrouve les sensations de chaleur, d’amitié, de bonté de Didier Michaux.

A chaque enseignement à Paris, auprès de l’IFH, l’Institut Français d’Hypnose, je retrouvais Didier m’accueillant avec son sourire généreux et captivant. Voir Didier était pour moi, à chaque fois, l’occasion de me sentir dans ce mouvement de la vie, dans ce changement perpétuel. Je savais avant de le rencontrer que mon état émotionnel allait changer. J’étais un peu angoissé, irrité ou triste ? Fatigué du voyage ? Je voyais Didier et je sentais le chaud au coeur, les couleurs se raviver, le sourire prendre place sur mon visage. Nous avions l’habitude d’aller manger au restaurant la veille de l’atelier. Toujours un choix raffiné autant que modeste à son image, accompagné d’un vin qui nous invitait à le déguster lentement, comme son rayonnement.

Un partage sur les faits et valeurs de la vie, sur les difficultés et les opportunités de l’enseignement, avec la sollicitation appuyée d’écrire. Je ne pouvais pas dire « non » à Didier et j’écrivis ainsi le texte sur hypnose et attachement. Didier m’était une vraie figure d’attachement, je pouvais compter sur lui en toute circonstance. Au 25e anniversaire de l’IFH, en novembre 2015, il m’avait demandé une brève intervention qui a pris comme titre « Hypnose un jour, hypnose toujours ». Je ne fus pas capable de terminer mon exposé sur un ton habituel. L’émotion fut telle que les larmes et la voix en sanglots furent mes derniers mots au moment de m’adresser à Didier. Encore aujourd’hui je ressens l’intensité de ce moment-là, l’authenticité de cet instant quand les mots ne comptent plus et seul le coeur parle et partage. Oui, je n’étais plus le Docteur Colombo, mais bien Stefano. Merci Didier pour ta bonté, ta générosité. Merci de me permettre le chemin du deuil au parfum et aux couleurs de ces vécus partagés. Je souhaite ce chemin à la famille et à toutes celles et tous ceux qui ont eu le privilège de connaître, naître un peu avec Didier.


Dr STEFANO COLOMBO

Médecin psychiatre, psychologue diplômé consultant à la Faculté de Médecine de Genève (enseignement et supervision). Enseigne l’hypnose éricksonienne et la thérapie cognitive en France, Belgique, Suisse

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N°67 : Novembre / Décembre 2022 / Janvier 2023

- Dans un très beau texte, drôle et subtil, Virginie Lagrée rend hommage à la créativité et à l’éthique des familles d’accueil thérapeutique adultes. Elle nous montre, à partir de nombreux exemples, toutes les stratégies développées par ces familles, en lien avec une fine observation des relations tissées au fil de la vie quotidienne. Connaissant bien la pratique de l’accueil familial, devant la qualité de la prise en charge de tous ces patients, pour la plupart psychotiques, on peut s’étonner du peu de services de cette nature dans la psychiatrie publique. Un joli moment d’émotion et de réflexion sur la capacité de chacun à faire confiance à son inconscient.

- Julien Betbèze : Edito : Didier Michaux, chercheur et passeur de l’hypnose

- Quel plaisir d’accueillir dans ce n°67 la réflexion de Dominique Megglé sur la manière de comprendre la psychopathologie à partir de l’hypnose. Il décrit dans les peurs névrotiques le rôle majeur de la peur de l’oubli, de la peur de la nouveauté, et le rôle de l’hypnose profonde pour les traverser. Il souligne l’importance de la ratification et de la qualité relationnelle et développe une hypnopathologie passionnante sur la compréhension de ces différents troubles psychiatriques.

- Michel Ruel nous fait part de son expérience sur le travail avec les endeuillés. Il souligne l’inventivité des hypnothérapeutes français pour retrouver un lien avec les personnes disparues, lien indispensable pour faire un travail de deuil et favoriser un nouveau départ.

- Bogdan Pavlovici nous fait découvrir une approche novatrice en pédopsychiatrie pour rentrer en contact et faire lien avec tous ces enfants réticents qui peinent à s’investir dans une dynamique de soins. A travers l’histoire de Nicolas, 9 ans, il décrit le rôle de la transe hypnotique dans l’écriture des lettres envoyées par le thérapeute, et leur effet thérapeutique en retour chez l’enfant et sa famille.

En couverture : Lisa Bellavoine : Créer le regard

Espace Douleur douceur
- Gérard Ostermann : Edito : Les arbres de l’infinie douleur.
- Dans « Douleur d’amputation », Véronique Betbèze détaille les deux séances d’hypnose qui lui ont permis de remettre en mouvement un patient amputé.
- Magali Farrugia nous explique comment l’hypnose peut compléter l’accompagnement d’une patiente en soins palliatifs et détaille les séances avec une patiente atteinte d’un cancer de l’estomac. Un chemin vers les étoiles.
- David Ogez et Maryse Aubin nous invitent à pratiquer l’autohypnose. A travers le récit de Maryse, patiente en clinique de gestion de la douleur au Québec, nous apprenons comment un programme d’entraînement à l’autohypnose qui vise à réduire les douleurs chroniques des patients et réduire la prise en charge de médication opioïde est mis en place.
. Un hommage à Didier Michaud, chercheur et passeur de l’hypnose qui vient de nous quitter. Isabelle Ignace, Yves Halfon, Jean-Marc Benhaiem, Brigitte Lutz, François Thioly, Gaston Brosseau, Sophie Cohen.

Rubriques :
. Quiproquo : Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed : Le deuil

Culture du monde :
. Nicolas D’Inca : Se libérer du paradoxe – Du zen à l’école de Palo Alto
. Bonjour et après : Sophie Cohen : Le poids du couple… gagner en légèreté

Les grands entretiens : Rubin Battino interviewé par Gérard Fitoussi

Crédit Photos © Lise Bellavoine


Rédigé le 20/08/2023 à 21:38 | Lu 876 fois modifié le 20/08/2023

- Vice-Président de France EMDR-IMO - Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO… En savoir plus sur cet auteur