En plein confinement, je dois vous confier que je suis confus.
D’autant plus qu’au moment de la publication de ce « Quiproquo », nous serons déjà sortis ou presque ou peut-être de cette circonstance bien étrange. Je crains alors de ne plus être confiné. Pourquoi ? Parce qu’en reprenant le Chat de Geluck qui soulignait qu’il vaut mieux être un confiné plutôt qu’un con... fini, si j’ai fini le confinement, il ne me reste que le... Non, non, il ne me reste que la conclusion.
J’avoue que je commence à sérieusement douter de la validité d’une conclusion. Regardez la dernière phrase du précédent « Quiproquo » : un post-scriptum, un « PS » pour les gens pressés, sans connotation politique, notez bien cela, les notations peuvent parfois être utiles, parfois elles sont contre-productives. Le post-scriptum du « Quiproquo » précédent sonnait ainsi : « Ayons faim de la lenteur à laquelle le coronavirus nous a invités. »
Deux mois après cette invitation, force est de constater que la réalité habituelle nous a suivis, voire poursuivis tout le long de cette expérience de confinement. Combien de nous, nous avions décidé de profiter de cet arrêt du temps pour refaire l’appartement, reprendre la vie familiale, nous rendre compte de combien d’enfants sont à table, quels devoirs l’école leur demande, vider l’ordinateur, préparer un repas avec plus de temps que d’ingrédients ? Bref, nous asseoir sur le rivage de la vie pour regarder passer l’eau sous le pont du temps. Et maintenant ? Trois ou plus de mois après ?
Je laisse le point d’interrogation.
Je ne réponds pas car l’optimisme me hante suffisamment pour garder la flamme du doute allumée. Certains se demanderont ce qu’ils ont bien fait en ce temps d’arrêt qu’ils n’ont pas vu passer ; un arrêt si rapide que le voyage précédent ne s’est jamais arrêté. Arriveront-ils à souhaiter un nouveau temps de confinement ?
D’autres commencent à trouver un goût étrange à reprendre les vieilles habitudes, pire, à devoir ! reprendre les vieilles habitudes appelées « normalité », le fameux « retour à la normalité ou à la normale ».
Si normal que nous trouvons normal de lui imposer des dates rigoureuses pour des étapes définies selon des lieux précis : France, plages du Nord, 17 mai ; Suisse, restaurants, tables à quatre personnes, 11 mai ; Espagne, enfants hors de l’appartement, 50 mètres autour du bâtiment, 9 mai ; Italie, circulation à l’intérieur d’une région, 8 mai ; France, domicile-travail ou courses avec attestation de l’employeur ou de sa propre faim, 21 avril ; Allemagne, services religieux, 19 mai, la Suisse suivra le 28 mai, question que les prières sont plus lentes ? moins ou plus performantes ? carrément dangereuses ?
Les voies du Seigneur attendent le passage au vert des feux de circulation. Les dates ne sont pas exactes ? Navré, je ne suis pas encore revenu à la normale. J’avoue un certain amusement de voir l’eau bénite devenue maudite avec, comme conséquence, le dessèchement des piscines couvertes catholiques que sont les bénitiers. Fini le plongeon dans le bassin des grâces. A croire que ces bénitiers étaient d’excellents vaccins mis gratuitement à disposition des croyants et non. Une décision a davantage titillé ma curiosité : celle de la France, le mois de mai. Elle s’était élevée au-dessus de la mêlée en décidant d’une distance de mouvement autorisée de 100 km en vol d’oiseau, mesure que tout le monde connaît, sauf moi.
J’ai immédiatement empoigné mon GPS, cet étrange instrument qu’aussitôt allumé te montre où tu es, te disant « tu es ici » ; toujours utile au cas où vous vous êtes perdu ; précis comme les plans des villes en pleine rue : « tu es ici » ou « vous êtes ici », et qui vous renvoie aussitôt à ce sentiment de sécurité, de contrôle et donc d’apaisement. Vous lisez cela et vous n’êtes déjà plus perdu, juste étonné de la rapidité avec laquelle l’affiche l’a su.
Mon GPS à la main, je cherche les paramètres. Cela commence bien : je suis dans « parkings », je touche l’écran, je me trouve dans « destinations récentes », j’essaie de revenir en arrière et il me demande si je veux rentrer chez moi. Déjà revenir en arrière alors que je suis à l’arrêt, assis sur une chaise, me paraît étrange, si en plus il croit que je veux rentrer, il exagère. Vous me conseillez de tout simplement inscrire la destination désirée. Mais c’est tout autre chose que je veux : la distance en vol d’oiseau. Je finis par arriver aux paramètres et là une foule de possibilités se présente à ma vision : le parcours le plus court, le parcours le plus rapide, le plus panoramique, celui sans péages, celui avec péages, celui avec ou sans ferry-boat, la route goudronnée ou le chemin en terre battue, bref, tout sauf : en vol d’oiseau.
Comment faire ? Il me faut une carte géographique de la France. Je n’en ai pas. Où la trouver ? Et, est-ce un motif suffisant pour faire des kilomètres depuis le domicile, en zigzaguant ou en vol d’oiseau ? Peu importe, je prends le risque et je réussis à avoir ma carte de France.
Arrivé chez moi, je sors une vieille règle, précieusement gardée depuis mon école primaire, et me penche avec une curiosité à la limite de l’excitation sur ce papier plein de profils de montagnes, de taches bleues, de lignes rouges, d’autres jaunes, de cercles petits et grands, de villes écrites en gras et en gros, d’autres bien mincelettes. Avec un orgueil non dissimulé, je pose ma règle sur la carte, le zéro sur mon village et… une idée terrifiante m’envahit : est-ce que les oiseaux volent-ils tout droit ? Ils doivent bien contourner un arbre, une maison, un clocher, sans parler d’une colline ou d’une montagne. Passent-ils tout droit par dessus le mont Blanc, 4 809 mètres et une température de -12 °C en plein jour d’un mois de mai ?
D’autant plus qu’au moment de la publication de ce « Quiproquo », nous serons déjà sortis ou presque ou peut-être de cette circonstance bien étrange. Je crains alors de ne plus être confiné. Pourquoi ? Parce qu’en reprenant le Chat de Geluck qui soulignait qu’il vaut mieux être un confiné plutôt qu’un con... fini, si j’ai fini le confinement, il ne me reste que le... Non, non, il ne me reste que la conclusion.
J’avoue que je commence à sérieusement douter de la validité d’une conclusion. Regardez la dernière phrase du précédent « Quiproquo » : un post-scriptum, un « PS » pour les gens pressés, sans connotation politique, notez bien cela, les notations peuvent parfois être utiles, parfois elles sont contre-productives. Le post-scriptum du « Quiproquo » précédent sonnait ainsi : « Ayons faim de la lenteur à laquelle le coronavirus nous a invités. »
Deux mois après cette invitation, force est de constater que la réalité habituelle nous a suivis, voire poursuivis tout le long de cette expérience de confinement. Combien de nous, nous avions décidé de profiter de cet arrêt du temps pour refaire l’appartement, reprendre la vie familiale, nous rendre compte de combien d’enfants sont à table, quels devoirs l’école leur demande, vider l’ordinateur, préparer un repas avec plus de temps que d’ingrédients ? Bref, nous asseoir sur le rivage de la vie pour regarder passer l’eau sous le pont du temps. Et maintenant ? Trois ou plus de mois après ?
Je laisse le point d’interrogation.
Je ne réponds pas car l’optimisme me hante suffisamment pour garder la flamme du doute allumée. Certains se demanderont ce qu’ils ont bien fait en ce temps d’arrêt qu’ils n’ont pas vu passer ; un arrêt si rapide que le voyage précédent ne s’est jamais arrêté. Arriveront-ils à souhaiter un nouveau temps de confinement ?
D’autres commencent à trouver un goût étrange à reprendre les vieilles habitudes, pire, à devoir ! reprendre les vieilles habitudes appelées « normalité », le fameux « retour à la normalité ou à la normale ».
Si normal que nous trouvons normal de lui imposer des dates rigoureuses pour des étapes définies selon des lieux précis : France, plages du Nord, 17 mai ; Suisse, restaurants, tables à quatre personnes, 11 mai ; Espagne, enfants hors de l’appartement, 50 mètres autour du bâtiment, 9 mai ; Italie, circulation à l’intérieur d’une région, 8 mai ; France, domicile-travail ou courses avec attestation de l’employeur ou de sa propre faim, 21 avril ; Allemagne, services religieux, 19 mai, la Suisse suivra le 28 mai, question que les prières sont plus lentes ? moins ou plus performantes ? carrément dangereuses ?
Les voies du Seigneur attendent le passage au vert des feux de circulation. Les dates ne sont pas exactes ? Navré, je ne suis pas encore revenu à la normale. J’avoue un certain amusement de voir l’eau bénite devenue maudite avec, comme conséquence, le dessèchement des piscines couvertes catholiques que sont les bénitiers. Fini le plongeon dans le bassin des grâces. A croire que ces bénitiers étaient d’excellents vaccins mis gratuitement à disposition des croyants et non. Une décision a davantage titillé ma curiosité : celle de la France, le mois de mai. Elle s’était élevée au-dessus de la mêlée en décidant d’une distance de mouvement autorisée de 100 km en vol d’oiseau, mesure que tout le monde connaît, sauf moi.
J’ai immédiatement empoigné mon GPS, cet étrange instrument qu’aussitôt allumé te montre où tu es, te disant « tu es ici » ; toujours utile au cas où vous vous êtes perdu ; précis comme les plans des villes en pleine rue : « tu es ici » ou « vous êtes ici », et qui vous renvoie aussitôt à ce sentiment de sécurité, de contrôle et donc d’apaisement. Vous lisez cela et vous n’êtes déjà plus perdu, juste étonné de la rapidité avec laquelle l’affiche l’a su.
Mon GPS à la main, je cherche les paramètres. Cela commence bien : je suis dans « parkings », je touche l’écran, je me trouve dans « destinations récentes », j’essaie de revenir en arrière et il me demande si je veux rentrer chez moi. Déjà revenir en arrière alors que je suis à l’arrêt, assis sur une chaise, me paraît étrange, si en plus il croit que je veux rentrer, il exagère. Vous me conseillez de tout simplement inscrire la destination désirée. Mais c’est tout autre chose que je veux : la distance en vol d’oiseau. Je finis par arriver aux paramètres et là une foule de possibilités se présente à ma vision : le parcours le plus court, le parcours le plus rapide, le plus panoramique, celui sans péages, celui avec péages, celui avec ou sans ferry-boat, la route goudronnée ou le chemin en terre battue, bref, tout sauf : en vol d’oiseau.
Comment faire ? Il me faut une carte géographique de la France. Je n’en ai pas. Où la trouver ? Et, est-ce un motif suffisant pour faire des kilomètres depuis le domicile, en zigzaguant ou en vol d’oiseau ? Peu importe, je prends le risque et je réussis à avoir ma carte de France.
Arrivé chez moi, je sors une vieille règle, précieusement gardée depuis mon école primaire, et me penche avec une curiosité à la limite de l’excitation sur ce papier plein de profils de montagnes, de taches bleues, de lignes rouges, d’autres jaunes, de cercles petits et grands, de villes écrites en gras et en gros, d’autres bien mincelettes. Avec un orgueil non dissimulé, je pose ma règle sur la carte, le zéro sur mon village et… une idée terrifiante m’envahit : est-ce que les oiseaux volent-ils tout droit ? Ils doivent bien contourner un arbre, une maison, un clocher, sans parler d’une colline ou d’une montagne. Passent-ils tout droit par dessus le mont Blanc, 4 809 mètres et une température de -12 °C en plein jour d’un mois de mai ?
Dr STEFANO COLOMBO Médecin psychiatre, psychologue diplômé con sultant à la Faculté de Médecine de Genève (enseignement et supervision). Enseigne l’hypnose éricksonienne et la thérapie cognitive en France, Belgique, Suisse et Italie. Conférencier.
Dr MOHAND CHÉRIF SI AHMED (alias Muhuc). Psychiatre en libéral à Rennes. Formation en hypnose et thérapies brèves. Pratique des thérapies à médiations artistiques. Utilise particulièrement le dessin humoristique de situation en thérapie (pictodrame humoristique). Illustrateur et intervenant par le dessin d’humour lors de rencontres et congrès médicaux.
N°58 : août/septembre/octobre – Parution le 31 juillet
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
- Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
- L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
- La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
- 17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
- Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
- Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
- Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
- Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
- Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
- Livres en bouche
- Ouvrages de David Le Breton
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
- Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
- L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
- La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
- 17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
- Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
- Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
- Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
- Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
- Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
- Livres en bouche
- Ouvrages de David Le Breton