Frédéric voulait lier le lien avec une liasse de yens. Seulement voilà, la monnaie ne se laisse pas lier, uniquement fondre. Au fond, il aurait pu faire le lien avec autre chose, par exemple avec une laisse. Vrai, cela fait un peu dompteur de fauves sautant d’une liane à l’autre sans lien particulier entre elles hormis le lien du saut. Dans ce cas, il vaut mieux revenir dans un paisible pré de nos alpages pour y trouver des moutons. Quel est le lien avec les moutons ? Simple : les moutons n’ont pas de lien avec les fauves, ce qui est déjà un lien. La preuve est qu’elles, les fauves, peuvent apparaître à côté des moutons dans un texte littéraire, oui, oui, j’ai dit, ou plutôt écrit, « texte littéraire » créant ainsi un lien alors qu’il n’y en a pas.
L’alternative serait de lier fauves et moutons par le fait que l’on peut dire saute-mouton mais pas saute-fauve. C’est l’extraordinaire pouvoir de la pensée ou de la parole que de créer un lien quand il n’y en a pas. Il suffit d’évoquer A, puis B, et affirmer que B est le contraire de A. Le lien est fait par le contraire. Si j’affirme que A est similaire à B, le lien est fait, cette fois-ci par la similitude. Je peux alors poursuivre ad infinitum, de lien en lien avec le gros risque de perdre le sens du lien ou le lien avec le sens. Oh ! cela me renvoie aussitôt à certains moments de dite « psychothérapie » où le thérapeute fait un premier lien, attend la réaction du patient qui, ne bronchant pas de son divin divan, s’entend annoncer un deuxième lien, celui avec son silence qui, comme nous le savons fort bien, en dit long même si la séance est courte.
C’est alors que l’énoncé sur le silence déclenche quelques « borborythmes » chez le patient, suffisants pour la création d’un troisième lien fait d’un silence abyssal de la part du thérapeute. Ce silence, à son tour, provoque une réaction d’étonnement chez le patient qui, sans s’apercevoir qu’il vient de notifier le quatrième lien, reçoit aussitôt le résultat de l’explosion de l’imaginaire du thérapeute sous forme d’une très brève phrase du style : « eh, oui » ou « vous voyez, difficile pour vous... », ou encore « c’est un virage dans la thérapie ». Un virage ? Il faut espérer que le patient ne soit pas un adepte de voitures de course, il risquerait de commencer à vrombir pour y croire, pour vérifier l’extraordinaire intuition, basée évidemment sur des arguments solides, du thérapeute. Il pourrait aussi prendre peur de perdre la maîtrise de son bolide et de freiner brusquement.
Terrible, il risque alors un déluge de « résistances ». Si, par-dessus le marché, le patient est un électricien, il va arriver à la prochaine séance avec un sac plein de plombs de sécurité se disant qu’il vaut mieux prévenir plutôt que se trouver avec des résistances qui ont lâché. Encore faudra-t-il savoir sur le cadran de qui les plombs ont pété, pardon, sauté. Vous voyez comment il est facile de résister en déviant le sens d’un mot afin que le lien avec le ou les précédents mots se perde tout en créant de nouveaux liens qui n’ont plus de lien, en tout cas apparent, avec le lien de départ. Mais rien ne se perd, même pas un lien sans lien avec le lien.
Il suffit que notre électricien pose la question : « Docteur, les plombs, de 6, 10 ou 15 ampères ? » Ouah ! Le lien est sauvé : « am-pères ou am-mères ? ». Et c’est reparti pour une nouvelle série de séances car quand il s’agit de pairs... pardon, de père et mère, l’étendue des interprétations dépasse toute surface de la plus vaste mer qui risque d’engloutir père et mère. Si, en plus, s’y glisse le lapsus clavieri du mot « pairs » à la place de « père », les océans ne suffisent plus. Le lapsus clavieri ? Qu’est-ce que c’est ? Voyons, il y a bien le lapsus linguae. Or, si le lapsus n’est pas oral mais écrit, et de plus avec un clavier, il devient un lapsus clavieri du latin moderne clavierus, clavieri, etc. Un peu de latin, s’il vous plaît !
Et Frédéric ? J’avoue, j’ai perdu le lien avec Frédéric. Non seulement, j’ai aussi perdu le lien avec le lien. C’est la clinique qui me ramène au lien, le vrai. L’autre jour, une patiente me dit : « Après ma naissance, mes parents m’ont déposée chez mes grands-parents, à 5 ans ils m’ont prélevée, amenée à Genève et placée chez les bonnes soeurs... je n’ai jamais eu de lien. » Silence pour essayer de comprendre. Il n’y avait rien à comprendre, simplement à « prendre avec » comme l’on accompagne quelqu’un. Et la patiente de préciser avec une formule succincte qui dit tout : « J’étais un paquet, posé ici, posé là. » Oui, les parents ne l’ont pas accompagnée vers les grands-parents, ils ne l’ont pas accompagnée chez les bonnes soeurs. Aucun lien entre ces adultes censés être une continuité d’affection. Un paquet, déposé ici et là, qui finit par perdre le lien entre l’expéditeur, l’origine et le destinataire. Dans le voyage d’une boîte à lettres à l’autre, l’adresse s’est faite pâle, de moins en moins lisible, autant que la signature du contenu. Un nouveau voyage l’attend, celui dont origine et destinataire peuvent se trouver en elle, telle une lumière à l’ombre du passé et aux couleurs du futur, encrée dans le présent des sens, du vécu, accompagnée par la présence du thérapeute.
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°66
L’alternative serait de lier fauves et moutons par le fait que l’on peut dire saute-mouton mais pas saute-fauve. C’est l’extraordinaire pouvoir de la pensée ou de la parole que de créer un lien quand il n’y en a pas. Il suffit d’évoquer A, puis B, et affirmer que B est le contraire de A. Le lien est fait par le contraire. Si j’affirme que A est similaire à B, le lien est fait, cette fois-ci par la similitude. Je peux alors poursuivre ad infinitum, de lien en lien avec le gros risque de perdre le sens du lien ou le lien avec le sens. Oh ! cela me renvoie aussitôt à certains moments de dite « psychothérapie » où le thérapeute fait un premier lien, attend la réaction du patient qui, ne bronchant pas de son divin divan, s’entend annoncer un deuxième lien, celui avec son silence qui, comme nous le savons fort bien, en dit long même si la séance est courte.
C’est alors que l’énoncé sur le silence déclenche quelques « borborythmes » chez le patient, suffisants pour la création d’un troisième lien fait d’un silence abyssal de la part du thérapeute. Ce silence, à son tour, provoque une réaction d’étonnement chez le patient qui, sans s’apercevoir qu’il vient de notifier le quatrième lien, reçoit aussitôt le résultat de l’explosion de l’imaginaire du thérapeute sous forme d’une très brève phrase du style : « eh, oui » ou « vous voyez, difficile pour vous... », ou encore « c’est un virage dans la thérapie ». Un virage ? Il faut espérer que le patient ne soit pas un adepte de voitures de course, il risquerait de commencer à vrombir pour y croire, pour vérifier l’extraordinaire intuition, basée évidemment sur des arguments solides, du thérapeute. Il pourrait aussi prendre peur de perdre la maîtrise de son bolide et de freiner brusquement.
Terrible, il risque alors un déluge de « résistances ». Si, par-dessus le marché, le patient est un électricien, il va arriver à la prochaine séance avec un sac plein de plombs de sécurité se disant qu’il vaut mieux prévenir plutôt que se trouver avec des résistances qui ont lâché. Encore faudra-t-il savoir sur le cadran de qui les plombs ont pété, pardon, sauté. Vous voyez comment il est facile de résister en déviant le sens d’un mot afin que le lien avec le ou les précédents mots se perde tout en créant de nouveaux liens qui n’ont plus de lien, en tout cas apparent, avec le lien de départ. Mais rien ne se perd, même pas un lien sans lien avec le lien.
Il suffit que notre électricien pose la question : « Docteur, les plombs, de 6, 10 ou 15 ampères ? » Ouah ! Le lien est sauvé : « am-pères ou am-mères ? ». Et c’est reparti pour une nouvelle série de séances car quand il s’agit de pairs... pardon, de père et mère, l’étendue des interprétations dépasse toute surface de la plus vaste mer qui risque d’engloutir père et mère. Si, en plus, s’y glisse le lapsus clavieri du mot « pairs » à la place de « père », les océans ne suffisent plus. Le lapsus clavieri ? Qu’est-ce que c’est ? Voyons, il y a bien le lapsus linguae. Or, si le lapsus n’est pas oral mais écrit, et de plus avec un clavier, il devient un lapsus clavieri du latin moderne clavierus, clavieri, etc. Un peu de latin, s’il vous plaît !
Et Frédéric ? J’avoue, j’ai perdu le lien avec Frédéric. Non seulement, j’ai aussi perdu le lien avec le lien. C’est la clinique qui me ramène au lien, le vrai. L’autre jour, une patiente me dit : « Après ma naissance, mes parents m’ont déposée chez mes grands-parents, à 5 ans ils m’ont prélevée, amenée à Genève et placée chez les bonnes soeurs... je n’ai jamais eu de lien. » Silence pour essayer de comprendre. Il n’y avait rien à comprendre, simplement à « prendre avec » comme l’on accompagne quelqu’un. Et la patiente de préciser avec une formule succincte qui dit tout : « J’étais un paquet, posé ici, posé là. » Oui, les parents ne l’ont pas accompagnée vers les grands-parents, ils ne l’ont pas accompagnée chez les bonnes soeurs. Aucun lien entre ces adultes censés être une continuité d’affection. Un paquet, déposé ici et là, qui finit par perdre le lien entre l’expéditeur, l’origine et le destinataire. Dans le voyage d’une boîte à lettres à l’autre, l’adresse s’est faite pâle, de moins en moins lisible, autant que la signature du contenu. Un nouveau voyage l’attend, celui dont origine et destinataire peuvent se trouver en elle, telle une lumière à l’ombre du passé et aux couleurs du futur, encrée dans le présent des sens, du vécu, accompagnée par la présence du thérapeute.
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STEFANO COLOMBO Médecin psychiatre, psychologue diplômé consultant à la Faculté de Médecine de Genève (enseignement et supervision). Enseigne l’hypnose éricksonienne et la thérapie cognitive en France, Belgique, Suisse et Italie. Conférencier.
MOHAND CHÉRIF SI AHMED (alias Muhuc). Psychiatre en libéral à Rennes. Formation en hypnose et thérapies brèves. Pratique des thérapies à médiations artistiques. Utilise particulièrement le dessin humoristique de situation en thérapie (pictodrame humoristique). Illustrateur et intervenant par le dessin d’humour lors de rencontres et congrès médicaux.
MOHAND CHÉRIF SI AHMED (alias Muhuc). Psychiatre en libéral à Rennes. Formation en hypnose et thérapies brèves. Pratique des thérapies à médiations artistiques. Utilise particulièrement le dessin humoristique de situation en thérapie (pictodrame humoristique). Illustrateur et intervenant par le dessin d’humour lors de rencontres et congrès médicaux.
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N°66 : Aout / Septembre / Octobre 2022
Dans ce n°66, nous verrons comment aider les personnes qui nous consultent à sortir des effets des histoires dissociatives dans lesquels elles sont enfermées. Le questionnement développé dans les thérapies brèves est une aide essentielle pour rendre possible l’activation des processus de réassociation.
Edito:
. Julien Betbèze : Approche stratégique et acceptation de la solitude
. Alain Vallée développe un exemple clinique nous montrant comment la conversation d’engagement ouvre de nouvelles possibilités d’agir chez un sujet présentant un diabète de type 2 et qui ne parvenait pas jusque-là, malgré les risques somatiques, à modifier sa relation à l’alimentation.
Spécialiste mondialement connu de l’approche stratégique, Giorgio Nardone explique l’importance de différencier trois manifestations différentes de la solitude. Il enseigne comment apprendre à être avec les autres, et le chemin vers l’acceptation de la solitude, acceptation nécessaire pour faire vivre une relation.
Véronique Cohier-Rahban poursuit sa réflexion sur la prise en charge des enfants soumis aux effets des violences intergénérationnelles. Elle nous montre comment Armel, enfermé dans le rôle « d’enfant problème », va se libérer de son rôle sacrificiel par le questionnement circulaire et la mise en place de relations de coopération dans la famille.
A travers le cas de Marthe, enfermée dans son monde de détresse et d’inquiétude, Arnaud Zeman décrit comment le thérapeute, en se mettant en lien avec ses ressources relationnelles, accueille ses ressentis corporels et ses affects pour construire un accordage avec un sujet prisonnier de son vécu dissociatif. Cet accordage est le premier pas vers un nouveau positionnement rendant possible le changement.
. Le dossier thématique sur le lien thérapeutique se poursuit avec Karine Ficini qui nous fait part de l’histoire de Daniel, orphelin à l’âge de 4 ans, et dont les étapes de vie sont marquées par le pouvoir du monde abandonnique. Avec l’utilisation des mouvements alternatifs et de questions centrées sur la traduction corporelle de la confiance en soi, elle tisse un nouveau lien humain qui génère une nouvelle action signifiante pour le sujet.
. Bertrand Hénot utilise le questionnement narratif et solutionniste pour aider Louis à modifier son regard sur les services sociaux et sur lui-même, afin de réinvestir son rôle de père et se mettre en chemin pour retrouver la garde de son fils.
Dans l’espace « Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente trois articles sur l’apport de l’hypnose en gériatrie.
Sarah Muller, dans son article sur les conversations hypnotiques en psychogériatrie, nous raconte comment Mme D. qui présente un diagnostic de Démence fronto-temporal, intègre l’Ehpad à 92 ans, suite à une chute, et va bénéficier d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit.
Véronique Treussier-Ravaud expose le cas clinique de Mme L.F. patiente âgée qui souffre de troubles cognitifs sévères. Une séance d’hypnose pendant sa toilette, avec ancrage musical et techniques apaisantes, a pour bout de la réinstaller dans un état de bien-être.
. Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, nous explique comment elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne auprès des personnes âgées.
Dans la chronique « Bonjour et après », vous trouverez les premières consultations d’Elisabeth qui noie son ennui dans l’alcool. Sophie Cohen utilise le questionnement stratégique et l’hypnose pour aider la patiente à quitter ses tentatives de solution.
Enfin, Nicolas D’Inca nous livre un article passionnant sur le chamanisme et les animaux de pouvoir pour retrouver les liens au monde vivant.
Crédit photo Jean-Michel HERIN
Dans ce n°66, nous verrons comment aider les personnes qui nous consultent à sortir des effets des histoires dissociatives dans lesquels elles sont enfermées. Le questionnement développé dans les thérapies brèves est une aide essentielle pour rendre possible l’activation des processus de réassociation.
Edito:
. Julien Betbèze : Approche stratégique et acceptation de la solitude
. Alain Vallée développe un exemple clinique nous montrant comment la conversation d’engagement ouvre de nouvelles possibilités d’agir chez un sujet présentant un diabète de type 2 et qui ne parvenait pas jusque-là, malgré les risques somatiques, à modifier sa relation à l’alimentation.
Spécialiste mondialement connu de l’approche stratégique, Giorgio Nardone explique l’importance de différencier trois manifestations différentes de la solitude. Il enseigne comment apprendre à être avec les autres, et le chemin vers l’acceptation de la solitude, acceptation nécessaire pour faire vivre une relation.
Véronique Cohier-Rahban poursuit sa réflexion sur la prise en charge des enfants soumis aux effets des violences intergénérationnelles. Elle nous montre comment Armel, enfermé dans le rôle « d’enfant problème », va se libérer de son rôle sacrificiel par le questionnement circulaire et la mise en place de relations de coopération dans la famille.
A travers le cas de Marthe, enfermée dans son monde de détresse et d’inquiétude, Arnaud Zeman décrit comment le thérapeute, en se mettant en lien avec ses ressources relationnelles, accueille ses ressentis corporels et ses affects pour construire un accordage avec un sujet prisonnier de son vécu dissociatif. Cet accordage est le premier pas vers un nouveau positionnement rendant possible le changement.
. Le dossier thématique sur le lien thérapeutique se poursuit avec Karine Ficini qui nous fait part de l’histoire de Daniel, orphelin à l’âge de 4 ans, et dont les étapes de vie sont marquées par le pouvoir du monde abandonnique. Avec l’utilisation des mouvements alternatifs et de questions centrées sur la traduction corporelle de la confiance en soi, elle tisse un nouveau lien humain qui génère une nouvelle action signifiante pour le sujet.
. Bertrand Hénot utilise le questionnement narratif et solutionniste pour aider Louis à modifier son regard sur les services sociaux et sur lui-même, afin de réinvestir son rôle de père et se mettre en chemin pour retrouver la garde de son fils.
Dans l’espace « Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente trois articles sur l’apport de l’hypnose en gériatrie.
Sarah Muller, dans son article sur les conversations hypnotiques en psychogériatrie, nous raconte comment Mme D. qui présente un diagnostic de Démence fronto-temporal, intègre l’Ehpad à 92 ans, suite à une chute, et va bénéficier d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit.
Véronique Treussier-Ravaud expose le cas clinique de Mme L.F. patiente âgée qui souffre de troubles cognitifs sévères. Une séance d’hypnose pendant sa toilette, avec ancrage musical et techniques apaisantes, a pour bout de la réinstaller dans un état de bien-être.
. Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, nous explique comment elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne auprès des personnes âgées.
Dans la chronique « Bonjour et après », vous trouverez les premières consultations d’Elisabeth qui noie son ennui dans l’alcool. Sophie Cohen utilise le questionnement stratégique et l’hypnose pour aider la patiente à quitter ses tentatives de solution.
Enfin, Nicolas D’Inca nous livre un article passionnant sur le chamanisme et les animaux de pouvoir pour retrouver les liens au monde vivant.
Crédit photo Jean-Michel HERIN